Numéro thématique coordonné par :
Camille ROELENS, Laboratoire de recherche Éducation-Culture-Politiques ( 4571-ECP), Université Claude-Bernard, Lyon 1, France.
Argumentaire scientifique :
Dès le début du XIXe siècle, dans l’ouvrage intitulé De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville – dont on connait l’acuité dans l’analyse de la modernité démocratique et la prescience quant à l’évolution ultérieure des sociétés occidentales – écrivait : « Lorsque le principe de l’égalité […] se développe […] les hommes […] se ressemblent […] en ce point qu’ils redoutent également la guerre et conçoivent pour la paix un même amour [qui] leur fait tomber l’épée des mains » (Tocqueville, 1835/1981, p. 345).
Tocqueville problématisait ainsi en creux la manière dont le déploiement moderne de l’individualisme démocratique pouvait influencer la façon dont les citoyens peuvent ou non se projeter dans l’horizon de l’exercice militaire. D’un autre côté, Tocqueville, s’il insistait beaucoup sur l’analyse des dangers intérieurs susceptibles de peser sur les démocraties modernes, ne négligeait pas la question des dangers extérieurs, en posant notamment la question des outils de puissance propres aux démocraties. Autrement dit, il proposait de dessiner une politique de défense. Dans la perspective de Tocqueville, il est ainsi permis de penser que les évolutions majeures inhérentes à la dynamique démocratique occidentale telles que Tocqueville les analysait et qui ont inspiré en cela de nombreux travaux ultérieurs en sciences humaines et sociales, peuvent aujourd’hui être réinterrogées, dans des contextes contemporains où la menace extérieure sur lesdites questions démocratiques apparaît comme plus importante, voire plus prioritaire et plus immédiate qu’il y a quelques décennies, et à l’aune des enjeux de différents contextes géopolitiques favorisant le réarmement et la remilitarisation de sociétés occidentales qui espéraient depuis 1945 la fin des conflits militaires.
L’objectif de ce dossier thématique de la revue Phronesis est ainsi de contribuer à une réflexion sur les professions de la défense en proposant d’étudier, de manière interdisciplinaire, multidimensionnelle et multiréférentielle, les enjeux de la professionnalisation dans ces professions (militaires mais pas seulement) du point de vue de l’éducation et de la formation. Quelles sont les conceptions de la défense dans les sociétés démocratiques à la lumière des dangers qui les guettent, qu’il s’agisse de dangers extérieurs ou de dangers intérieurs, en particulier si nous pensons aux menaces terroristes ou aux menaces climatiques ?
Comment sommes-nous passés d’un modèle de formation militaire basé sur la conscription de jeunes hommes, autrement dit d’une professionnalisation obligée à des modèles, aujourd’hui, de professionnalisation de petites cohortes mixtes de volontaires ? Quelles sont les caractéristiques de ces professions de la défense composées principalement de militaires, mais aussi de policiers, de pompiers, ou de professionnels de la sécurité civile ? En effet, ces professions de la défense ne sont plus à restreindre aux seules professions militaires. Les policiers, chargés de la sécurité intérieure, les pompiers chargés de lutter contre les conséquences de la menace climatique, les professionnels de la sécurité civile sont amenés à intervenir auprès de populations ayant été soumis à des phénomènes souvent imprévisibles, phénomènes qui impactent leur intégrité physique et psychologique.
Le recours à l’intervention de ces différents professionnels nécessite de s’attarder quelques instants sur leurs formations et sur leurs pratiques à la lumière des transformations de leurs missions, des évolutions de la nature et des caractéristiques des menaces visant l’atteinte aux biens et de la variété des origines des menaces pesant sur la population. Plus largement, ce projet de numéro thématique permettra de revisiter sous un jour nouveau une question récurrente des recherches en éducation et formation, à savoir celle de la conception de ce qu’est l’humain que l’on cherche à former, les destins possibles qu’on lui imagine, et les ressources dont il faudra le doter pour ce faire. Nous nous proposons d’organiser cette réflexion en trois axes, soulevant diverses problématiques.
Axe 1 : Professionnalisation et formes variées de la socialisation professionnelle
- Les transformations des missions confiées aux professionnels de la défense impactent-elles les politiques éducatives, en particulier l’enseignement de l’éducation à la citoyenneté et l’enseignement de l’histoire ?
- Comment favoriser dans l’enseignement scolaire une réflexion sur l’humain à partir des « éducations à » (éducation à la citoyenneté, éducation à la paix, éducation à l’environnement) ?
- Le passage du modèle de la conscription au modèle du volontariat modifie-t-il la formation des professionnels de la défense, en particulier dans le contexte de la formation des militaires ?
- Comment les transformations des parcours de formation chez les professionnels de la défense peuvent-elles intégrer des dimensions éthiques et déontologiques et permettre d’acquérir de « bonnes pratiques » au service de la population ?
- L’évolution des contextes sociaux dans lesquels interviennent les professionnels de la défense modifie-t-elle leurs conceptions de la pratique professionnelle ?
Axe 2 : Professionnalisation, pratiques professionnelles et professionnalité
- Comment l’histoire des professions de la défense (histoire des armées, histoire des polices, histoire des pompiers et histoire de la protection civile), d’une part et les cultures professionnelles d’autre part, participent des transformations des identités professionnelles dans ces professions ?
- De quelles manières les pratiques professionnelles dans ces professions se nourrissent des pratiques du care et des pratiques de la bienveillance?
- Les sciences de l’éducation et de la formation peuvent-elles constituer avec d’autres sciences spécifiques de ces professions un champ disciplinaire de référence soutenant les transformations des pratiques professionnelles ?
- À quelles conditions peut-on considérer que ces professions de la défense sont représentatives de professions s’adressant à autrui ?
- Quels sont les liens entre les modèles de formation supérieure constitutifs des parcours de professionnalisation dans ces professions de la défense et les conceptions des professionnels de la défense ?
Axe 3 : Professionnalisation et parcours de formation
- Comment penser des ingénieries renouvelées de la professionnalisation dans ces professions de la défense qui intègrent un triple rapport à la profession (vocation, mission, engagement) ?
- Quels sont les modèles formatifs mobilisés dans les formations professionnelles (préparatoires et/ou continues) à ces professions de la défense ?
- Quels sont les invariants formatifs et pédagogiques des formations aux professions de la défense ?
- Dans quelles mesures la variété des parcours de professionnalisation dans ces professions de la défense reflète les distinctions et différences entre les différentes professions de la défense ?
Ce projet de numéro vise à étudier, analyser et comprendre les spécificités des professions de la défense, en particulier la profession de militaire (mais pas seulement) à l’aune des enjeux de professionnalisation, touchant tout autant les évolutions affectant ces professions que les transformations des parcours de formation qui y préparent. Au-delà des imaginaires sur ces professions nourris des œuvres représentatives de l’histoire culturelle des sociétés démocratiques, ce projet de numéro a pour ambition d’identifier les questions vives de la professionnalisation concernant ces professions.
Nous invitons les chercheurs et chercheurs ayant pour objet de recherche ces professions de la défense à répondre favorablement à cet appel à textes.
Bibliographie indicative :
Aron, R. (1962/2004). Paix et guerre entre les nations. Calmann-Lévy.
Baecheler, J., Holeindre, J.-V. (2014). (Dir.). Guerre et politique. Hermann.
Baranets, É. (2017). Comment perdre une guerre. Une théorie du contournement démocratique. CNRS Éditions.
Born, P. (2024). Une approche genrée de sélection au cours des premières années d’engagement chez les sapeurs-pompiers volontaires. Note de synthèse. Savoirs, 65(2), 43-58.
Bourgois, P. (2023). Le néoconservatisme américain. La démocratie pour étendard. Presses Universitaires de France.
Chéron, B. (2018). Le soldat méconnu. Les Français et leurs armées : état des lieux. Armand Colin.
Desmons, E. (2001). Mourir pour la patrie ? Presses universitaires de France.
Drévillon, H., Wieviorka, O. (2018/2021). (Dir.). Histoire militaire de la France. I. Des Mérovingiens au Second Empire. Ministère des Armées / Perrin.
Drévillon, H., Wieviorka, O. (2018/2022). (Dir.). Histoire militaire de la France. II. De 1870 à nos jours. Ministère des Armées / Perrin.
Fournier, É. et Houte, A.-D. (2023). (Dir.). À bas l’armée ! L’antimilitarisme en France du XIXe siècle à nos jours. Éditions de la Sorbonne.
Gautier, A. (2020). Prévention des risques : de l’urgence de l’action à l’analyse des situations. Éducation permanente, 224, 97-104.
Goya, M. (2014/2019). Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail. Taillandier.
Goya, M. (2019). S’adapter pour vaincre. Comment les armées évoluent. Perrin.
Goya, M. (2022). Le temps des guépards. La guerre mondiale de la France. De 1961 à nos jours. Tallandier.
Hanson, V. D. (1989/1990). Le modèle occidental de la guerre. Les Belles Lettres.
Holeindre, J.-V., Murat, G. (2012). (Dir.). La démocratie et la guerre au XXIe siècle. De la paix démocratique aux guerres irrégulière. Hermann.
Irondelle, B. (2011). La réforme des armées en France. Sociologie de la décision. Presses de Sciences Po.
Jakubowski, S. (2021). Les transformations institutionnelles de l’action publique : armées, enseignement supérieur et enseignement scolaire. Contribution à la sociologie des organisations. L’Harmattan.
Lipovetsky, G. (1992). Le crépuscule du devoir. L’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques. Gallimard.`
Mailfait, P.-A. (2002). la formation professionnelle des policiers. Revue française d’administration publique, 104(4), 625-638.
Mansfield, H. C. (2006/2018). Virilité. Éditions du Cerf.
Mayeur, F. (2004). Histoire de l’ensegnement et de l’éducation III. 1789-1930. Tempus Perrin.
Merchet, J.-D. (2024). Sommes-nous prêts pour la guerre ? L’illusion de la puissance française. Robert Laffont.
Motte, M., Soutou, G.-H., De Lespinois, J., Zajec, O. (2018/2023). La Mesure de la force. Traité de stratégie de l’École de guerre. Taillandier.
Parker, G. (1988-1993). La révolution militaire. La guerre et l’essor de l’Occident, 1500-1800. Gallimard.
Prost, A. (1981/2004). Histoire de l’enseignement et de l’éducation. Tome IV. Depuis 1930. Perrin.
Renaut, A., Lauvau, G. (2020). La Conflictualisation du monde au XXIe siècle. Une approche philosophique des violences collectives. Odile Jacob.
Roelens, C. (2023). Pierre Schoendoerffer, sentinelle et pédagogue. Approche philosophique, enjeux éducatifs et formatifs. Penser l’éducation, 53, 125-137.
Saint-Fuscien, E. (2022). L’École sous le feu. Janvier et novembre 2015. Passés Composés.
Schnapper, D. (2017). De la démocratie en France. République, nation, laïcité. Odile Jacob.
Tocqueville, A. d. (1835/1981). De la Démocratie en Amérique (tome 1). Garnier-Flammarion.
Tocqueville, A. d. (1840/1981). De la Démocratie en Amérique (tome 2). Garnier-Flammarion.
Walzer, M. (1977/2006). Guerres justes et injustes. Gallimard.
Calendrier prévisionnel :
- Publication de l’appel à textes : 24 février 2025
- Transmission des résumés (1 page 1/2) au coordonnateur : 10 mai 2025
- Retour aux auteurs sur les résumés : 25 mai 2025
- Transmission des textes par les auteurs au coordonnateur : 31 octobre 2025
- Transmission des textes aux évaluateurs : 10 novembre 2025
- Retour des évaluations : 15 janvier 2026
- Transmission des évaluations aux auteurs : 31 janvier 2026
- Transmission des textes révisés aux évaluateurs et au coordonnateur : 15 avril 2026
- Relecture des textes par le coordonnateur et l’équipe de la revue Phronesis : mai 2026
- Publication : Automne 2026
CONSIGNES AUX AUTEURS-ES
Règles générales :
Les auteurs intéressés sont invités à soumettre leur résumé pour le 10 mai 2025 et le transmettre au coordonnateur du numéro (et simultanément à la revue Phronesis en indiquant le titre du numéro thématique et au directeur de la revue).
Philippe.Maubant@USherbrooke.ca
Dans une seconde étape, et sous réserve que leur résumé ait été accepté, les auteurs sont priés de soumettre leur texte dans deux versions : l’une anonymée et la seconde non anonymée. Ils sont invités à indiquer :
- Le titre de l’appel à communication visé ;
- Leur institution d’appartenance et laboratoire d’attache;
- Leur adresse électronique professionnelle exclusivement.
Ils doivent vérifier qu’aucun élément présent dans le texte anonymé ne permet de les identifier (rubrique « propriétés du document », références dans le texte et bibliographie). Il en est de même pour la transmission des tableaux, schémas et figures, qui doivent être transmis en fichiers séparés. Les auteurs sont invités à indiquer pour toute soumission le titre de l’appel à communication visé (titre provisoire du numéro).
Pour tout message avec l’équipe éditoriale de la revue, merci de préciser dans le message le titre du numéro thématique.
Les textes sont transmis en format Word uniquement (sur PC ou Mac).
Les textes doivent respecter les normes de présentation de l’American Psychological Association (APA), dernière version et adaptées en français par la revue Phronesis pour répondre aux normes linguistiques en usage : https://bib.umontreal.ca/citer/styles-bibliographiques/apa.
La longueur de chaque chapitre sera de 90 000 caractères « max » (espaces compris), en excluant le titre, les résumés en français et en anglais, les mots-clés en français et en anglais et la bibliographie.
Les textes sont présentés à interligne simple.
La police de caractères utilisée est GARAMOND (taille 11) ou AVENIR (taille 11).
PRÉSENTATION DES FIGURES, SCHÉMAS ET DES TABLEAUX :
- Les tableaux, figures ou schémas sont limités à un maximum d’un par article et par catégorie, autrement dit un tableau et/ou une figure et/ou un schéma par article. Un tableau comme une figure ou un schéma ne doit pas dépasser une demi-page. Un tableau, comme une figure ou un schéma doit être lisible, légendé et référencé. Il en est de même pour les figures et les schémas. La légende doit être indiquée en dessous du du tableau, de la figure ou du schéma. Aucune annexe ne peut s’ajouter au texte.
- Ils doivent être transmis en format JPEG, TIFF, PDF ou PNG.
- Les auteurs indiquent dans le texte l’emplacement des schémas, tableaux, figures à insérer. Ils les joignent en annexe dans des fichiers séparés et avec toutes les indications quant à la composition de ces documents.
- L’équipe éditoriale de la revue se réserve le droit de supprimer tout tableau, tout schéma ou toute figure jugée illisible et susceptible de nuire à la compréhension de l’argumentaire.
HIÉRARCHISATION DES TITRES :
- Trois niveaux de titre sont permis.
- Numéroter les titres et les sous-titres afin de bien en préciser la hiérarchie (ex. : 1., 1.1., 1.1.1.).
FORMAT D’ÉCRITURE :
- Utiliser l’italique uniquement pour les mots étrangers, termes latins et grecs et les titres d’ouvrages si ces titres sont référencés dans le corps du texte.
- Utiliser le gras uniquement pour les titres et les sous-titres.
ÉCRITURE DES NOMBRES :
- Les nombres de 0 à 10 (inclus) sont toujours écrits en lettres, que ces nombres soient au début ou à l’intérieur d’une phrase.
- À partir de 11, les nombres sont écrits en chiffres dans les phrases ; s’ils sont au début d’une phrase, ils sont écrits en lettres.
- S’il y a une énumération de plusieurs catégories évoquant des nombres différents dans une même phrase, tous les nombres sont écrits en chiffres.
- Les nombres inférieurs à zéro, les fractions, les rapports et les pourcentages s’écrivent toujours en chiffres.
CITATIONS DANS LE TEXTE ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :
Elles doivent respecter les normes APA 7e édition (version francophone sans esperluette) :
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