Les usages du concept d’« enquête » dans les Sciences de l’éducation et de la formation : démarche d’étude de la professionnalisation

Numéro thématique coordonné par :

Joris THIEVENAZ

Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur les transformations des pratiques éducatives et des pratiques sociales (LIRTES EA 7313)

Université Paris-Est, Créteil, France.

Argumentaire scientifique :

Les propositions, concepts et options théoriques élaborés par John Dewey (1859-1952) tout au long de son œuvre, connaissent ces dernières années un regain d’intérêt particulièrement important en Sciences humaines et sociales (SHS), y compris en Sciences de l’éducation et de la formation (SEF). Comme en témoignent de nombreuses publications, journées d’études, traductions, recherches doctorales, etc., le « paradigme de l’enquête » rencontre un vif intérêt, dans les milieux de la recherche, en particulier dans les disciplines qui étudient des champs de pratiques sociales. Le concept d’enquête (1938) et le paradigme de l’expérience qu’il sous-tend constituent l’aboutissement de la trajectoire intellectuelle de John Dewey (1903, 1910, 1916, 1922, 1933). Fruit de plusieurs dizaines d’années de réflexion, la théorie de l’enquête se présente comme un condensé des apports philosophiques, psychologiques et pédagogiques de l’auteur.

Des travaux pionniers ont été l’occasion de présenter et de discuter des principes et des options théoriques qui sous-tendent la théorie de l’enquête et de montrer son intérêt pour les pratiques de recherche, d’enseignement de formation (Fabre 1993, 1999, 2009 ; Thievenaz, 2012 ; Mayen, 2013).

Force est de constater, que non seulement l’intérêt ne s’est pas estompé au fil du temps, mais qu’il s’est au contraire accentué (Thievenaz et al., 2024 ). Il ne s’agit plus dès lors de présenter cette approche théorique et d’en explorer les fondements, mais plutôt d’en questionner les usages et les formes de mobilisations dans l’activité de recherche. Si les propositions théoriques contenues dans une telle approche sont aujourd’hui connues et diffusées dans notre milieu académique (Fabre, 1999, Fabre et Thievenaz, 2019 ; Thievenaz, 2012, 2019, Mayen, 2013 ; Albero, 2019, Thievenaz et Fabre, 2023) la genèse de ce concept et la façon dont celui-ci a fait l’objet d’une maturation progressive demeurent en revanche peu étudiées.

Que signifie « prendre appui », « convoquer » ou « mobiliser », « faire référence », voire même parfois « se revendiquer » de cette approche conceptuelle ? Quelles conditions cela implique-t-il ? Quelles en sont les visées ? Quelles vigilances sont à exercer ? Etc. L’archéologie du concept d’enquête ne relève pas uniquement d’un travail d’érudition réservé à quelques spécialistes des apports du pragmatisme. Il montre comment pour désigner le processus qu’il recouvre, l’auteur à lui-même hésiter entre différents termes dans le but de mettre en évidence le caractère à la fois universel et ordinaire de la démarche de connaissance par et dans l’activité.

Ce travail « d’enquête sur la notion d’enquête » se révèle également utile pour mieux comprendre la diversité de ses formes de réception et d’usage dans les travaux de recherche en Sciences de l’éducation et de la formation et notamment ceux qui abordent les questions d’apprentissage, de formation et de professionnalisation.

Dans cette perspective, ce numéro thématique interroge, dans les travaux de recherche actuels en éducation et formation, les modes de recours et d’usage du concept d’enquête ainsi que de l’approche théorique qu’il sous-tend. Il s’agit, pour ce faire, d’expliciter et d’analyser les conditions selon lesquelles cette théorie est abordée, l’objet d’étude et le terrain investi sous ce prisme, les types de connaissances élaborées ainsi, et plus largement la manière dont cette théorie vient modifier les cadres d’analyse. Le but consiste à mettre en évidence, matériaux empiriques à l’appui, de quelle manière son exploitation en tant que postulat théorique permet non seulement de produire des connaissances valides, mais apporte aussi une spécificité qui peut s’avérer complémentaire avec d’autres types d’approches conceptuelles.

Les articles réunis dans ce numéro pourront s’inscrire dans au moins trois axes de réflexion (non exhaustifs et pouvant être traités de façon conjointe dans les contributions) :

• Axe 1 : Faire usage de l’enquête pour interroger les dynamiques de professionnalisation des sujets et des organisations de travail et de formation (dimension méthodologique et empirique)

Il s’agit dans cette optique de montrer comment la notion d’enquête telle que forgée par John Dewey dans une approche psycho-philosophique de l’expérience peut être convoquée comme un concept d’intelligibilité des processus par lesquels les sujets construisent des compétences et développent leur expérience en situation de travail et de formation. La théorie de l’enquête est alors envisagée comme un cadre conceptuel permettant d’étudier les processus de professionnalisation en acte et leurs conséquences sur la transformation non seulement des sujets, mais aussi des environnements de travail dans lesquels ils évoluent. Les propositions de contributions qui s’inscrivent dans cet axe, montreront ainsi (en prenant appui sur des matériaux empiriques issus de recherche de terrain) les « usages en actes » du concept d’enquête le domaine des SEF.

• Axe 2 : Interroger les usages de l’enquête dans le domaine de la recherche en éducation et formation (dimension épistémo-théorique)

Mobiliser une théorie, un concept ou un paradigme de recherche ne va jamais de soi. Cela implique un travail non seulement d’élaboration (d’un cadre conceptuel compatible avec les visées, l’objet, le terrain de la recherche), mais aussi de discussion, de prise de distance, d’aménagement et parfois même de déconstruction. Un enjeu consiste dès lors à engager une réflexion autant théorique, épistémologique qu’éthique sur les modalités et conditions d’appropriation d’une théorie ou d’une partie de la théorie pour produire des connaissances scientifiques sur les activités humaines. Les propositions de contributions qui s’inscrivent dans cet axe, questionneront les conditions, les principes et les points de vigilance qui conditionnent le « recours à l’enquête » en SEF.

• Axe 3 : Mobiliser l’enquête pour agir en éducation et formation (dimension praxéologique)

Fidèle à la conception pragmatiste de John Dewey selon laquelle « la théorie est éminent pratique » (1933), il s’agit dans cette perspective d’étudier sous quelles conditions la théorie de l’enquête est susceptible d’être mobilisée dans une intention d’apprentissage, de formation et de professionnalisation. Dans cette perspective seront traités les différents usages pédagogiques et didactiques qui sont fait de l’enquête ainsi que leurs retombées sur la construction des sujets, des activités et des environnements. En partant du principe que sous certaines conditions, l’enquête peut être considérée comme une ressource pour l’action, les propositions de contributions qui s’inscrivent dans cet axe exploreront les visées expérientielles, transformatives, ou émancipatrices poursuivies à travers la mobilisation de ce concept.

Consacrer un numéro thématique aux usages scientifiques de la théorie de l’enquête est ainsi plus largement l’occasion d’engager un questionnement de nature épistémologique à propos des processus de mobilisation de concepts et de cadres d’analyse dans la discipline. Si les phénomènes d’emprunts, de réélaboration, d’actualisation de concepts provenant d’autres disciplines, sont non seulement courants, mais aussi constitutifs de la vie scientifique de la vie de la discipline depuis sa création, une telle dynamique, loin d’être conçue comme naturelle, nécessite d’être régulièrement, de manière à conserver toute la puissance heuristique des théories et des concepts qui les constituent. Enquêter sur les usages du concept d’enquête apparait dès lors comme un moyen d’interroger les habitudes scientifiques qui organisent l’activité de recherche dans la discipline.

Discuter les usages scientifiques du concept d’enquête revient, ce faisant, à prolonger un questionnement épistémologique concernant non seulement les concepts, mais aussi les présupposés et les logiques scientifiques mobilisés et élaborés dans le milieu de la recherche en formation des adultes (Barbier, 2001 ; Champy-Remoussenard, 2005 ; Albero, 2013, 2020 ; Thievenaz, 2023a,b). L’intérêt suscité par ce concept et les méthodes élaborées en vue de sa mobilisation dans la recherche en formation des adultes implique de réinterroger les présupposés qui sous-tendent ces travaux ainsi que les facteurs sociaux qui concourent à leur développement. Dans une perspective qui relève de la vigilance épistémologique, ce numéro vise ainsi une remise à l’étude des catégories, habitudes et principes d’analyse qui se sont mis en place durant les dernières décennies dans notre milieu scientifique.

Bibliographie :

Albero, B. (2013). L’analyse de l’activité en sciences de l’éducation : entre aspirations scientifiques et exigences pragmatiques ». Travail et apprentissages, 12, 94-117.
Albero, B. (2019). La théorie de l’enquête : relier les pôles épistémè et praxis de l’activité. Recherche et formation, 92, 39-56.
Albero, B. (2020). Une tension structurante entre épistémè et praxis : différenciations et processus transversaux. Dans J. Thievenaz, F. Saussez, J.-M. Barbier (Dir.), Comprendre/Transformer (p. 243-275). Peter Lang.
Barbier, J.-M. (2001). La constitution de champs de pratiques en champs de recherches. Dans J.-M Baudoin, J. Friedrich (Dir.), Théorie de l’action et éducation (p. 315-317). De Boeck.
Champy-Remoussenard, P. (2005). Les théories de l’activité entre travail et formation. Savoirs. 8, 9-50.
Dewey, J. (1903). Studies in Logical Theory. University of Chicago Press.
Dewey, J. (1910, 2004). Comment nous pensons ? Trad. par O. Decroly (How we think). Les Empêcheurs de penser en rond.
Dewey, J. (1916). Essays in experimental logic. University of Chicago Press
Dewey, J. (1922). Humain Nature and conduct. An Introduction to Social Psychology. Cosimo.
Dewey, J. (1933) How we think (2e édition non traduite, revue et augmentée). D.C Heath
Dewey, J. (1938, 1967). Logique : la théorie de l’enquête. Trad. par G. Deledalle (Logic: The theory of Inquiry). Presses universitaires de France.
Fabre, M. (1993). De la résolution de problème à la problématisation. Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, 4-5, 71-102.
Fabre, M. (1999). Situations problèmes et savoirs scolaire. Presses universitaires de France.
Fabre, M. (2009). Philosophie et pédagogie du problème. Vrin.
Fabre, M. (2023). L’idée d’expérience chez Dewey : entre la voie de Locke et la voie de Hegel. Recherches & éducations, hors-série 2. http://journals.openedition.org/rechercheseducations/14980
Fabre, M., Thievenaz, J. (2019). L’enquête : un concept heuristique pour les sciences de l’éducation et de la formation. Entretien avec Michel Fabre. Recherche & Formation, 92, 95-104.
Mayen, P. (2013). John Dewey, l’éducation et la reconstruction continue de l’expérience. Éducation permanente, 198, 9-22.
Thievenaz, J. (2012). L’activité d’« enquête » du médecin du travail. Recherche et Formation, 70, 61-74.
Thievenaz, J. (2019). La théorie de l’enquête de John Dewey. Réexplorations pour la recherche en Sciences de l’éducation et de la formation. Recherche & Formation, 92, 19-38.
Thievenaz, J. (2023a, à paraître). L’approche par l’analyse de l’activité en sciences de l’éducation et de la formation : enjeux, principes et perspectives. Dans R. Wittorski, D. Demazière (Dir.), Encyclopédie de la professionnalisation. ISTE Éditions.
Thievenaz, J. (2023b). Interroger les présupposés et les logiques scientifiques de l’analyse du travail en Sciences de l’éducation et de la formation. Éducation permanente, 234/235, 107-120.
Thievenaz, J., Fabre, M. (2023). La Théorie de l’enquête de John Dewey : fondements, réception et usages dans la recherche francophone en éducation et formation. (Note de synthèse). Revue française de pédagogie, 219, 129-178.
Thievenaz, J., Las-Vergnas, O., Kedidah Chair, N. (2024). Rediscovering Dewey’s Concept of “Inquiry” in Francophone Literature: A Lexicographical Analysis of Scientific Production Pertaining to Education and Training Issue. Education and Culture: Vol. 40 : Iss. 1, Article 5. https://docs.lib.purdue.edu/eandc/vol40/iss1/art5

Calendrier prévisionnel :

• Publication de l’appel à textes : 25 juin 2025
• Transmission des textes par les auteurs aux coordonnateurs du numéro : 20 novembre 2025
• Transmission des textes aux évaluateurs : 25 novembre 2025
• Retour des évaluations : 6 janvier 2025
• Transmission des évaluations aux auteurs : 10 janvier 2026
• Transmission des textes révisés au coordonnateur au plus tard le 20 février 2026
• Relecture des textes par le coordonnateur du numéro et l’équipe de la revue Phronesis, et décision de publication : 1er mars 2026
• Publication : Printemps 2026

CONSIGNES AUX AUTEURS-ES
Règles générales :
Les auteurs intéressés sont invités à soumettre leur texte pour le 20 novembre 2025 au plus tard. Les auteurs transmettent leur texte directement à l’adresse suivante :
info@revue-phronesis.com

Les auteurs transmettent aussi leur texte simultanément au coordonnateur du numéro et au directeur de la revue :
joris.thievenaz@u-pec.fr
Philippe.Maubant@USherbrooke.ca

Les auteurs sont priés de déposer leur texte dans deux versions : l’une déjà anonymée et la seconde non anonymée. Ils sont invités à indiquer :
• le titre de l’appel à communication visé ;
• leur institution d’appartenance et laboratoire d’attache ;
• leur adresse électronique professionnelle exclusivement.

Pour tout message avec l’équipe éditoriale de la revue, merci de préciser dans le message le titre du numéro thématique.
Les auteurs sont priés de transmettre leur article dans deux versions : l’une déjà anonymée et la seconde non anonymée. Ils doivent vérifier qu’aucun élément présent dans le texte anonymé ne permet de les identifier (propriétés du document, références dans le texte et bibliographie). Il en est de même pour la transmission des tableaux, schémas et figures, qui doivent être transmis en fichiers séparés. Les auteurs sont invités à indiquer pour toute soumission le titre de l’appel à communication visé (titre provisoire du numéro).
Les textes sont transmis en format Word uniquement (sur PC ou Mac).
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La longueur de chaque chapitre sera de 80 000 caractères « max » (espaces compris), en excluant le titre, les résumés en français et en anglais, les mots-clés en français et en anglais et la bibliographie. Les textes sont présentés à interligne simple.
La police de caractères utilisée est GARAMOND (taille 11) ou AVENIR (taille 11).

PRÉSENTATION DES FIGURES, SCHÉMAS ET DES TABLEAUX :
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• Les auteurs indiquent dans le texte l’emplacement des schémas, tableaux, figures à insérer. Ils les joignent en annexe dans des fichiers séparés et avec toutes les indications quant à la composition de ces documents.
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FORMAT D’ÉCRITURE :
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ÉCRITURE DES NOMBRES :
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• S’il y a une énumération de plusieurs catégories évoquant des nombres différents dans une même phrase, tous les nombres sont écrits en chiffres.
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